Texte publié dans : Karen Biesbrouck, Stefan Elders and Gerda Rossel (eds.), 1999, Central African Hunter-Gatherers in a
Multidisciplinary Perspective: Challenging Elusiveness. Proceedings of the Colloquium on Hunter-Gatherers of Equatorial Africa,
held at Leiden, The Netherlands, October 7-9, 1996. Leiden: CNWS. 331 p., pp.75-87
Traces de très anciennes occupations humaines de la forêt tropicale au Gabon(Evidence of very old human settlements in the tropical forest of Gabon) Résidence La Chesnaie, Bâtiment A, Entrée 3, 40 Boulevard Rouquier, 06130 Grasse, France. Paper presented for the Colloquium on hunter-gatherers of equatorial Africa, University of Leiden, Netherlands, 7-9 october 1996 Abstract : Research carried out during the last 10 years in Gabon has shown hunter-gatherers were living in the country since at least 100,000 years ago. Since then, all the areas of Gabon were settled, though probably in small numbers not exceeding 2,000 people during the Middle Stone Age and 26,000 people during the Late Stone Age. Hunter-gatherer groups knew quite well the surrounding areas as shown by evidence suggesting economical contacts of some sort along 100 kilometres of forest. Furthermore, data now convincingly suggests some gabonese hunter-gatherer groups were living in the tropical forest since c.40,000 bp. Last but not least archaeological research has started to comprehend the interrelationship between hunter-gatherers and villagers starting c.5,000 bp. It has shown villages to be settled in the forest since at least 2,500 bp (800-400 BC). Thus it is not with iron implements man was able to "conquer" the tropical forest but with stone tools.
1. Introduction.Encore trop souvent on découvre au gré de nouvelles publications la référence pour l'Afrique centrale à une forêt équatoriale vide aux temps préhistoriques, livrée aux animaux et aux plantes: "...la forêt équatoriale où l'Homo erectus, lui, ne se risquait pas." (Van Noten, 1991, p.22). Même pour des périodes plus récentes on sent des réticences: "Les gisements de faciès sangoen semblent pourtant être les plus anciens en bordure de la forêt équatoriale, dans les régions aujourd'hui boisées. Mais la question reste posée de savoir si ces régions étaient boisées lors de leur occupation." (Ibid., p.23). Ou encore: "Il semble donc que cette région (= Afrique centrale Atlantique, NdA) ait été peuplée plus tardivement que le reste de l'Afrique, sans doute lors de la dernière grande dégradation climatique, contemporaine du Würm, qui a suffisamment fragmenté la grande forêt ombrophile pour la rendre pénétrable à l'homme." (Lanfranchi, 1990, p.504).Les africains eux-mêmes ne perçoivent que très mal la très grande ancienneté de leurs cultures ancrées sur les bases jetées lors de l'arrivée de populations sédentaires il y a 5.000 ans bien adaptées par leurs système sociaux, leurs rituels, leurs sociétés secrètes, leurs arts au milieu forestier. Il va sans dire que des chercheurs d'autres disciplines (zoologie, botanique, etc.) peu au fait des connaissances archéologiques traitent les zones forestières tropicales africaines où ils travaillent comme s'ils étaient dans des forêts vierges. Enfin, dans d'autres cas, plus rares, on a pu argumenter les possibilités théoriques de subsistence de groupes de chasseurs-collecteurs en forêt tropicale en concluant à son impossibilité sans le concours d'une association à des agriculteurs (pour le premier voir Bailey, e.a., 1989). Depuis maintenant une dizaine d'années les données amassées par la quinzaine d'archéologues actifs en Afrique centrale se sont lentement étoffées. Dominée par la problématique de l'apparition de sociétés sédentaires productrices de leur nourriture, les recherches ont cependant petit à petit livrés des documents concordants sur la présence de chasseurs-collecteurs avant, pendant et après l'arrivée de ces sédentaires vers 5.000 bp, soit vers 3.000 avant notre ère . De plus, sans être totalement confirmées, des données paléoenvironnementales existent pour poser l'hypothèse de la présence de certains de ces groupes en plein milieu de la forêt équatoriale africaine. C'est la même situation qui existe dorénavant en Amérique du Sud; les dernières recherches archéologiques démontrent la présence de l'homme en Amazonie dans un contexte de forêt tropicale et ce dès 11.500 bp (voir A.Roosevelt, 1996, in Science, vol.272, p.373). Là-bas aussi persistait l'idée d'une forêt inhabitée car difficile pour l'homme. D.Lavallée a très bien résumé cette opinion: "... une idée bien enracinée voulait que les ressources naturelles de la forêt amazonienne - gibier et végétaux - aient été à l'époque trop rares pour assurer la survie de groupes de chasseurs-cueilleurs "primitifs", avant l'"invention" de l'agriculture sur brûlis." (Lavallée, 1996, p.33). Dorénavant certains chercheurs peuvent affirmer: "L'abondance des sols anthropogéniques et leur association avec des forêts de palmiers et de fruitiers sylvestres suggèrent que la distribution des types de forêt et de végétation dans la région résulte en partie de plusieurs millénaires d'occupation par des populations dont la présence récurrente sur les mêmes sites a bouleversé le paysage végétal." (Descola, 1996). Ce sont les données qui appuient la proposition de groupes de chasseurs-cueilleurs très anciens et vivants dans la forêt tropicale africaine que je vais présenter ici. Ces données sont centrées sur le Gabon car elles sont là les plus récentes et probablement les moins connues. Je vais alors essayer de faire comprendre l'importance du faisceau d'éléments qui tend à convaincre de la très grande ancienneté de l'occupation des terroirs par des hommes. Ces terroirs sont eux-même constitués de plusieurs écosystèmes forestiers et savanicoles. A la suite de cette première présence on verra que l'homme y est resté et est parfaitement attesté pendant les 100.000 ans qui suivront.
2. Age Ancien de la Pierre.On divise en Afrique centrale les Ages de la Pierre en un Age Ancien de la Pierre (pré-100.000 bp), un Age Moyen de la Pierre (100.000 - 12.000 bp) et un Age Récent de la Pierre (post-12.000 bp). L'Age Moyen de la Pierre, qui comprend les plus vieilles traces de la présence de l'homme en forêt équatoriale, est subdivisé en un Sangoen et un Lupembien. L'Age Récent de la Pierre n'est pas pour l'heure subdivisé: le manque de données objectives le font considérer globalement, du moins dans ce pays.On citera pour mémoire deux gisements qui posent problème: le site de la rivière Mingoué et celui d'Elarmekora (province du Moyen Ogooué). A Elarmekora une terrasse constituée de galets à 175 mètres au-dessus de l'actuel niveau du fleuve Ogooué contenait une petite série de galets taillés. A la Mingoué, le long de cette rivière, dans une terrasse de galets perchée à 100 mètres au-dessus du niveau actuel de l'Ogooué, une série de pierres taillées y a été ramassée. Sur des bases géomorphologiques, il a été suggéré que ces deux gisements d'altitude soient d'âge Pléistocène Inférieur, soit avant 700.000 bp (Oslisly et Peyrot, 1992). On a pas encore découvert de véritable Acheuléen au Gabon. Il s'ensuit que Homo erectus responsable de cette industrie devait se limiter au pourtour de la forêt équatoriale, c'est-à-dire aux terres de Centrafrique, du sud-est et du sud du Zaïre et de l'Angola là où ces outils sont bien connus (Lanfranchi, 1991; Muya, 1991; Ramos, 1991). Homo erectus a vécu en Afrique vers 1.500.000 - 100.000 bp. On suppose qu'il est venu en Afrique centrale lors d'une phase climatique sèche qui lui a permis de s'installer dans les milieux ouverts des pays mentionnés, dédaignant la forêt toujours présente au centre et sur la côte de la région (p.ex. voir Coppens, 1983; Van Noten, 1991).
3. Age Moyen de la Pierre.Le Sangoen est maintenant bien connu au Gabon. Les premières traces sont découvertes dans des niveaux datables par les reconstitutions de paléoclimatologie d'avant 40.000 ans. Ces niveaux sont soit des "lignes de cailloux" enfouies profondément dans les sols - à la genèse complexe - ou encore la partie inférieure des recouvrements présents au-dessus de ces "lignes de cailloux" (=stone-lines en anglais).Les haltes des chasseurs-collecteurs sont installées en sommet de colline. En général, un cours d'eau coulait à proximité immédiate. Les outils utilisés sont surtout des galets taillés sur une ou deux faces et des pics. Certains galets taillés se rapprochent des proto-bifaces. A cet outillage de base s'ajoute tout un matériel sur éclats, ainsi que des racloirs, rabots, hachereaux, etc. La matière première est en général des quartzites ou des quartz collectés non loin des campements. On a aussi découvert des objets sur jaspe et silex. Concernant l'économie les seuls critères objectifs concernent les roches utilisées que je viens de mentionner car les sols très acides du pays ne permettent pas la conservation des os. Toutes les roches sont d'origine locale limitant ainsi les déplacements entre le camp de base et la source de matière première à quelques kilomètres seulement. Les éléments indirects tels que faible densité des sites de ces époques, faible extension en surface des vestiges, permettent d'imaginer de petits groupes de chasseurs-collecteurs nomadisant sur le territoire gabonais. Ce territoire est pour l'instant circonscrit aux provinces de l'Estuaire, de l'Ogooué-Lolo, du Moyen Ogooué, de l'Ogooué Ivindo, de la Ngounié et du Haut Ogooué, c'est-à-dire, tout de même, 6 des 9 provinces du pays ! Il est possible que des alignements de charbons de bois enfouis à proximité immédiate des pierres taillées soient les restes de feux donc de l'utilisation des ligneux de la forêt par les hommes du Sangoen. On en retrouve au site d'Okala (Estuaire). Les charbons d'Okala ont été en partie identifiés par R.Dechamps. Il s'agit de Microberlinia brazzavillensis et de Brachystegia cynometroides. L'homme qui vivait au Gabon durant ces époques est Homo sapiens. C'est durant cette période de la préhistoire qu'il s'installe et abandonne les objets sangoens découverts au cours des recherches.
Le Lupembien est un complexe industriel dont on retrouve les objets dans la partie inférieure des recouvrements. J'ai pu montrer ailleurs que la date des industries présentes dans cette partie des sols se situe entre 40.000 et 18.000 bp (Clist, 1995, p.105). Certains sites peuvent être plus jeunes et se placer vers 12.000 bp quelques temps avant l'apparition et le développement du complexe industriel de l'Age Récent de la Pierre.
4. L'Age Récent de la Pierre.Le passage de l'Age Moyen de la Pierre à l'Age Récent de la Pierre est pour l'instant inconnu. Les premiers sites de cette nouvelle époque ne sont attestés par des datations radiocarbones que seulement à partir de 8.000 bp.
Quoiqu'il en soit, 25 dates radiocarbones permettent de placer entre 7.000 BC et 2.000 BC l'occupation du Gabon par des groupes nomadisant (Clist, 1995, p.120).
5. Le Néolithique .Je ne traiterai de ce sujet que rapidement car les populations de chasseurs-cueilleurs ont été forcément au contact des immigrants venus se sédentariser au Gabon.Pour ceux qui veulent obtenir plus de renseignements, plusieurs publications récentes en ont fait la synthèse (Clist, 1990; Maret, 1990; Clist et Jézégou, 1991; Vansina, 1991; Clist, 1995; Clist, 1997). Un Néolithique Ancien est connu sur le littoral Atlantique du Gabon entre 2.000 et 1.100 BC. Les villageois occupent d'abord les terres libres ou acueillantes de la côte. Puis, peut être quelques générations plus tard, profitant peut-être de leurs nouvelles connaissances acquises sur la forêt mais aussi d'un léger assèchement climatique (Schwartz, 1992) de nouveaux villages s'installent sur les berges des rivières (Komo puis Ogooué), puis plus tard encore sous la forêt. Petit à petit les villages colonisent des zones forestières de plus en plus grandes. Le centre du pays est atteint. Puis au Néolithique Récent entre 1.100 et 1 BC toutes les savanes et les principales régions forestières ont dû être occupées. Une vitesse linéaire moyenne de 1,2 kilomètres par an a été calculée pour ces mouvements. La densité d'occupation est certainement plus élevée qu'aux Ages de la Pierre qui ont précédés. On a pu calculé une densité de 0,2 habitants au kilomètre carré pour un secteur de la forêt de la province de la Ngounié, c'est-à-dire le double de la population de l'Age Récent de la Pierre. En chiffre réel il s'agirait d'une population de 52.000 habitants sur l'ensemble du pays, si on accepte d'extrapoler les chiffres propres à la Ngounié à l'ensemble du pays. C'est au Néolithique que se tresse un réseau d'échange le long de l'Ogooué entre l'amont et l'aval d'une part, entre l'amont de l'Ogooué et l'estuaire du Gabon d'autre part. Ce réseau a dû servir d'épine dorsale au Groupe d'Okala qui s'étendait des berges de l'Atlantique jusqu'à Booué, en amont de l'Ogooué entre 1.200 et 1 BC. L'importance de la présence de villages loin en forêt au Néolithique Récent n'est pas à négliger. En effet, l'homme conquiert son espace vital au dépend de la forêt et abat donc des arbres, d'une part pour son village, d'autre part pour ses champs. Les coupes en forêt au Gabon remontent à au moins 3.000 ans. Depuis, des villages y ont été installés sans interruption et dans toutes les régions du pays. Enfin, c'est certainement au Néolithique Récent, et non à l'Age du Fer, que se posent les prémisses, les bases des cultures des groupes ethniques de l'histoire moderne. L'Age du Fer va se bâtir sur les traditions et savoir-faire, hérités des ancêtres néolithiques. Sur un plan environnemental, on peut estimer que toutes les régions du Gabon ont subi un cycle de phases de déboisement et de phases de régénération à tendance climatique depuis les premiers villageois néolithiques, c'est-à-dire depuis 5.000 ans.
6. Le paléoenvironnement.C'est une chose de vérifier la présence de chasseurs-cueilleurs depuis au moins 40.000 ans dans la région Afrique centrale (voir points 2, 3 et 4 ci-dessus), c'est une autre affaire de corréler cette présence avec un milieu forestier. En effet, la couverture forestière a varié au rythme des fluctuations climatiques. Certains peuvent utiliser cette absence de données pour appuyer leur thèse d'une absence de chasseurs-cueilleurs dans un milieu forestier tropical (Bailey,e.a., 1989; Blench au cours de ce colloque).En Afrique, et plus particulièrement en Afrique tropicale, les mêmes variations climatiques qu'ailleurs en Europe et en Amérique du Nord ont amené des changements différenciés en ce qui concerne la végétation et le climat régional. Aujourd'hui, on y distingue une succession de phases dites humides et de phases dites sèches. Grossièrement, les phases humides correspondent à des périodes interglaciaires, les phases sèches à des phases glaciaires. En Afrique Centrale on a pu reconstituer les variations climatiques de ces 100.000 dernières années, contemporaines de la glaciation de Würm en Europe. Au sein de cette tranche de temps, les paléoclimatologues ont définis deux phases sèches, le Maluékien (vers 70.000 et 40.000 bp) et le Léopoldvillien (vers 30.000 et 12.000 bp), et deux phases humides, le Ndjilien (vers 40.000 et 30.000 bp) et le Kibangien (depuis 12.000 bp). La totalité de ces phénomènes s'inscrivent donc à l'intérieur du Quaternaire et plus précisément au cours du Pléistocène Supérieur ou Récent (160.000 à 10.000 bp) et de l'Holocène (depuis 10.000 bp). Il faut maintenant procéder à la présentation des éléments de la thèse complémentaire: au moins partie des groupes de chasseurs-cueilleurs ont habités la forêt tropicale et donc étaient adaptés depuis très longtemps à cet environnement particulier.
Avant le Maluékien, phase sèche qui débute vers 70.000 bp, des données océanographiques (Jansen, 1990) et polliniques (Bengo et Maley, 1991), encore isolées, suggèrent l'existence de plusieurs variations climatiques.
7. Conclusions.Des chasseurs-cueilleurs ont bien habités en forêt dans certaines régions du Gabon actuel depuis au moins le Lupembien, soit depuis 40.000 ans ! De 40.000 ans jusque la fin du Léopoldvillien vers 12.000 bp on peut suivre l'évolution du complexe industriel présent à travers le Gabon, habitant pour certains groupes des savanes, et pour d'autres des forêts. On peut estimer leur population à 5.000 âmes environ (0,02 habitant/km²).Un hiatus semble exister entre 12.000 et 8.000 bp, date des plus vieilles industries connues de l'Age Récent de la Pierre. Je suis convaincu qu'il s'agit là d'un effet des recherches et non d'une situation réelle. Depuis 8.000 bp, la forêt gabonaise est habitée. D'abord, seulement par de petits groupes de chasseurs-cueilleurs qui ont pu totaliser 26.000 habitants (0,1 habitant/km²). Plus tard, à partir de vers 5.000 bp par des chasseurs-cueilleurs et des villageois dont la densité d'occupation ira en s'accroissant régulièrement pour atteindre un chiffre probable de 134.000 habitants au cours de l'Age du Fer (0,5 habitant/km²), puis finalement de 380.000 habitants au début du XXe siècle (1,4 habitant/km²).
Pour revenir aux pygmées, actuels chasseurs-cueilleurs de cette région d'Afrique centrale, il est bien sûr tentant d'en faire les descendants des premiers nomades forestiers. Il s'agit là du modèle le plus couramment admis. Il ne faut pas cependant figé ces groupes comme d'éternels chasseurs-collecteurs. Plusieurs études ont montré la diversité d'adaptation de "petits" hommes ainsi que des "grands" hommes aux différents modes d'acquisition de nourriture (p.ex.Vansina, 1986).
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